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QUELQUES EXTRAITS DE PRESSE

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LIBÉRATION - 11 août 2015

Les mots  des  longues  peines  de  Clairvaux pour  supporter  la  réclusion

«Si j’écris, c’est pour être sûr que j’existe encore» : dans la prison centrale Clairvaux (Aube), un atelier d’écriture réunit une fois par mois quelques détenus condamnés à de longues peines qui cherchent dans les mots une échappatoire à la réclusion.«Ici on s’évade grâce à nos écrits mais sans se faire la belle en vrai», plaisante Djamel qui, à bientôt 50 ans, aura passé presque la moitié de sa vie en détention.«L’écriture nous permet de mieux se connaître, d’exister encore, c’est libérateur même si les mots qui nous viennent sont souvent durs et tristes. En prison, même quand on parle des fruits, ils sont souvent amers», lâche-t-il. Depuis cinq ans qu’il participe à l’atelier d’écriture, certains de ses textes ont franchi les hauts murs ultra-sécurisés de la centrale pour être récités ou chantés dans le cadre du festival de musique «Ombres et Lumières» qui se tient fin septembre dans l’ancienne abbaye cistercienne du 12e siècle, en bordure de la prison.

«Quand j’ai créé le festival dans cette abbaye qui est aussi une prison depuis plus de deux siècles» - l’abbaye fut un temps transformée en prison, avant la construction d’un bâtiment séparé -, «l’idée de faire participer les détenus à la création d’une oeuvre musicale s’est imposée naturellement», explique Anne-Marie Sallé, ancienne administratrice de la maîtrise de Radio France, qui anime l’atelier depuis 2008.

Les textes, dont certains portent la signature du terroriste Carlos ou de Régis Schleicher d’Action Directe, incarcérés un temps à Clairvaux, servent ainsi de matériau à des compositeurs, comme Thierry Machuel ou plus récemment Philippe Hersant, dont les créations constituent le point d’orgue du festival.

«Entre les détenus et moi il y a une relation de confiance très forte, ils ont leur part d’ombre bien sûr mais c’est ce qu’il y a de positif et d’intense en eux qui m’intéresse et qu’il faut valoriser pour qu’ils puissent se réhabiliter un jour», explique Mme Sallé.

Chaque mois, elle retrouve quelque six détenus pour trois heures de travail dans la salle d’activité au bout d’une coursive où résonne le bruit des innombrables grilles continuellement actionnées par les gardiens.

Ne pas être réduit à l’acte qui m’a conduit ici

Dans ce local de la taille de trois cellules où le plafond peint par d’autres prisonniers figure un ciel bleu où flottent quelques nuages, les auteurs sont invités à lire à haute voix leur texte dont le thème a été défini à l’atelier précédent. Certains, étrangement timides, délèguent l’exercice à un voisin, et les heures passent à discuter syntaxe, vocabulaire, et des moyens d’améliorer la prose.

«C’est le travail d’un groupe soudé et très respectueux les uns des autres, le temps aussi d’une parole libérée», raconte Anne-Marie Sallé.

Alors que l’abbaye fondée par Saint-Bernard en 1115 célèbre son 900e anniversaire, les détenus ont travaillé sur le thème de la double identité du lieu : réclusion monacale et carcérale, avant le concert d’ouverture le 25 septembre où les textes des prisonniers seront lus lors d’un récital de piano. «Je suis confronté à cette muraille médiévale, du haut de ses 900 ans elle me nargue et m’impose la méditation, la privation, la patience et l’expiation de mes péchés dans la soumission», écrit ainsi Djamel dans sa dernière copie. Rares sont les textes où l’enfermement, la solitude, le regret ou la souffrance n’affleurent pas à chaque ligne jusqu’à l’obsession, comme le souligne un autre détenu qui signe sa prose du pseudonyme de «Carthagenois» «C’est un travail thérapeutique, parce que l’image qu’on a de soi est si horrible», affirme l’homme à la carrure d’athlète.

«Les mots, c’est toujours plus nobles que les poings, je montre que je peux exister autrement que par la violence et ne pas être réduit à l’acte qui m’a conduit ici», poursuit-il. Avant l’été, les détenus de l’atelier ont écrit et enregistré une fiction radiophonique pour RFI (Radio France internationale) dont la diffusion est prévue fin septembre, à l’occasion du festival Ombres et Lumières. AFP

 

 

 

LE  FIGARO -12 juin 2015

La double vie de Clairvaux

Par Claire Bommelaer et Thierry Hillériteau

Expositions, inauguration de nouvelles salles, programme musical… L'abbaye cistercienne, qui abrite une maison centrale, souffle ses 900 bougies.

Neuf cents ans. C'est l'âge de l'abbaye de Clairvaux, fondée par Bernard de Fontaine. Le futur saint Bernard, dont l'aura sera telle que Dante le convoquera au terme de sa Divine Comédie, permettra à ce haut lieu de l'ordre cistercien situé dans l'Aube de devenir l'un des plus puissants du Moyen Âge. Son rayonnement intellectuel, spirituel et économique s'étendra bien au-delà de nos frontières. Au point de donner naissance à pas moins de 339 « abbayes filles».

Au fil de cette longue existence, Clairvaux aura plus d'une vie. Passant du statut de petit monastère appliquant la règle de saint Benoît à celui de haut lieu de l'ordre cistercien, l'abbaye, démolie puis reconstruite au XVIIIe siècle, devient dès 1808, sur ordre de Napoléon «la plus grande prison de France». Elle le reste jusqu'en 1970. En 1971, une nouvelle maison centrale est construite sur les fondations de l'ancienne abbatiale. Les détenus quittent le bâtiment historique mais continuent d'habiter l'enceinte monastique: aujourd'hui près de 136 détenus y sont enfermés pour dix ans, voire plus.

En 2002, l'Administration pénitentiaire a cédé les parties patrimoniales inutilisées au ministère de la Culture donnant le coup d'envoi d'un vaste programme de restauration de Clairvaux. Celle du réfectoire des moines, transformé en chapelle pour les prisonniers en 1813, vient de se terminer. Comme chaque pièce, elle porte la trace du double destin de Clairvaux. À l'instar du bâtiment des convers, rénové progressivement entre 2003 et 2013. L'unique vestige de la grande abbaye médiévale, modèle d'architecture cistercienne avec ses croisées d'ogives et ses pierres blondes, d'une beauté sereine, servit de réfectoire aux prisonniers. «Cette dualité entre vie monastique et univers carcéral est indissociable de l'identité de Clairvaux», explique Jean-François Leroux-Dhuys, président de l'association Renaissance de Clairvaux. Ce dernier, avec une troupe de bénévoles, se bat depuis 1979 pour mettre en valeur le lieu sans renier sa singularité, ménageant à chaque restauration la chèvre et le chou.

Les marqueurs d'une barbarie à l'ancienne

Au milieu du XIXe siècle, le lieu accueillit jusqu'à 3000 prisonniers, dont 500 femmes et 550 enfants. Ils sont alors entassés dans des salles communes. En 1875, la réforme pénale décide la mise en place de cellules individuelles exiguës et grillagées, accolées les unes aux autres. Ces «cages à poules», alors considérées comme la pointe du progrès en milieu carcéral, ne seront abandonnées qu'en 1971. Aujourd'hui installées dans les combles de l'abbaye (où elles sont encorevisibles), elles constituent les marqueurs d'une barbarie à l'ancienne. Il y a deux ans, Robert Badinter ancien  ministre de la Justice et avocat de Bontems, un mutin de Clairvaux, revint sur les lieux alors qu'il travaillait au livret de l'opéra de Thierry Escaich Claude, inspiréde Claude Gueux (autre «habitant» célèbre de la centrale)de Victor Hugo. Il fut, dit-on, effaré. Mais si Clairvaux a enfermé et enferme encore, elle s'ouvre aussi sur le monde.

Chaque année, grâce au travail de Renaissance de Clairvaux, 20.000 visiteurs viennent admirer ses hautes voûtes, apprendre sur la vie cistercienne ou toucher du doigt la réalité des prisons du

XIXe. C'est d'ailleurs lors d'une visite de l'abbaye, en 2004, qu'Anne-Marie Sallé, ancienne administratrice de la Maîtrise de Radio France, décidera d'y fonder un festival de musique, Ombres et Lumières.

Son amitié d'enfance avec le violoniste Régis Pasquier et son carnet d'adresses lui permettent de faire rapidement venir de grands noms du classique. Aujourd'hui, des figures comme François-René Duchâble, des choeurs d'excellence comme Les Cris de Paris ou Aedes y ont leurs habitudes. Mais son action ne se limite pas aux concerts dans l'ancienne abbaye. Après avoir proposé aux musiciens volontaires de se produire devant les prisonniers, elle a créé en 2008, grâce au soutien du directeur de l'époque Gilbert Blanc, des ateliers d'écriture qui réunissent chaque année sept à douze détenus, et débouchent sur la création de pièces vocales écrites avec un compositeur en résidence. Après Thierry Machuel en 2008, ce fut au tour de Philippe Hersant en 2011 (lire PDF ci-joint ). Thierry Pécou lui succédera en 2016.

L'initiative valut à Anne-Marie Sallé la médaille de bronze de l'Administrationpénitentiaire. Elle rayonne aujourd'hui au delà de nos frontières. Le chef Teodor Currentzis et l'Opéra de Perm, en Russie, viennent ainsi de commander à Hersant la création d'un spectacle chorégraphique à partir de ces textes de détenus. Des mots pleins de douleurs et de regrets, qu'Anne- Marie Sallé compilés dans un recueil publié en septembre dernier : Tentatives d'évasion (Éditions Loco). Il y est question de murs gris, de destins brisés, de chairs brûlées et de parfum de liberté. Des thèmes dont tout Clairvaux a gardé la mémoire vive, et dont on continue de débattre dans l'enceinte monastique au travers de colloques et de conférences sur l'enfermement… Qu'il soit forcé ou volontaire. Des rencontres entre des moines de Cîteaux et des détenus furent même organisées: on y parla de quatre murs, de cellules, de parloirs… Et aussi d’évasion par la contemplation.

Responsable des détenus -des terroristes, grands bandits, preneurs d'otage ou «fortes têtes»-, l'actuel directeur de la maison d'arrêt, Dominique Bruneau, soutient tous ces projets avec conviction. «Je ne suis pas là pour garder des prisonniers, mais pour préparer des personnes à sortir, même dans vingt ans», explique-t-il. Un soir, alors qu'une poignée de prisonniers était autorisée à assister à un concert, il a dû convaincre l'un d'eux de traverser la cour. Incarcéré depuis vingt-deux ans, ce dernier appréhendait tout simplement son retour au monde.

 

Philippe Hersant : «La musique aide à s'évader»

Par Thierry Hillériteau

INTERVIEW - En résidence à Clairvaux depuis 2011, ce compositeur deux fois récompensé aux Victoires de la musique revient sur l'influence du lieu sur sa musique et sa rencontre avec les détenus de la centrale, dont il a mis les textes en musique dans ses cycles Instants limites et Métamorphoses.

LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous a conduit à accepter cette résidence?

Philippe HERSANT - Lorsque Anne-Marie Sallé, directrice du festival Ombres et Lumières, et le choeur Aedes m'en ont parlé, j'étais dubitatif. Je n'ai pas l'habitude de travailler à partir de textes obligés et ma première réaction fut un mélange de curiosité et d'appréhension. Mais dès ma première visite, j'ai été happé par ce lieu et la force émotionnelle qui se dégage de sa dualité, inscrite à même les murs.

Comment s'est passée la rencontre avec les détenus?

J'avais vu le documentaire Or, les murs, de Julien Sallé, qui a filmé la résidence de mon prédécesseur, Thierry Machuel. Malgré tout, ce fut un bouleversement. En trois ans, j'ai rencontré une vingtaine de détenus. Le plus extraordinaire, c'est l'intensité de leur parole dans cet espace où elle ne peut s'échapper naturellement. À l'inverse de notre monde, où l'on entend parfois sans écouter, ici, vous ne pouvez faire qu'écouter celui qui se trouve en face de vous.

Jusqu'à quel point ces rencontres vous ont-elles inspiré?

Le contact avec eux était pour moi indispensable pour mettre leurs mots en musique. Je ne m'intéresse pas à leur histoire passée, par rapport à laquelle je tiens à rester étranger. Mais d'une façon mystérieuse, leur voix, leur regard, leur façon d'être me dictent des idées musicales. Je me souviens d'un détenu, une armoire à glace, qui avait écrit un texte très enfantin et parlait d’une voix étonnamment douce. J’ai tout de suite songé à une berceuse.

Composer, c'est penser le temps long. Comment vous êtes-vous retrouvés sur cette question?

Elle est d'autant plus fondamentale à Clairvaux que le lieu accueille des personnes condamnées pour de longues peines. Chacun a sa manière d'évoquer cette appréhension du temps. Leurs mots ne sont pas ceux de poètes ordinaires. Et beaucoup sont étrangers à la musique. Pourtant, il se dégage de leurs écrits et de nos rencontres une matière très forte, qui nous rappelle à la vanité de nos propres vies.

La culture peut donc être synonyme d'évasion?

Ça paraît une évidence, mais vivre une telle expérience rend les choses tangibles.La rencontre qui m'a le plus marqué fut avec un prisonnier que j'ai vu en quartier d'isolement. Au fil de ses quinze années de détention, il s'était pris de passion pour un samouraï du XVIIIe siècle, allant jusqu'à apprendre le japonais en cellule. Chaque fois qu'il en parlait, il franchissait les murs de Clairvaux. Je suis convaincu que l'art en général, la musique en particulier, nous aide à nous évader. Nous avons pour la saison prochaine, avec la chef de choeur Nicole Corti, un projet d'ateliers qui ne tourneraient plus seulement autour de l'écriture, mais passeraient aussi par la pratique musicale.

Votre résidence ne se limite pas au travail avec les détenus. Vous avez

composé l'oeuvre des 900 ans de Clairvaux…

Oui, Paradiso, oeuvre pour choeur et archiluth sur la prière de saint Bernard, qui referme Le Paradis de Dante. C'est une commande d'État, qui sera créée le 20 juin au réfectoire des moines par la Maîtrise de Notre-Dame de Paris. Une autre manière de rendre hommage à l'abbaye et à son fondateur, tout en rappelant la richesse architecturale et acoustique du lieu.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 13/06/2015.

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